Aujourd'hui


I. Naissance de la linguistique


Etudier les règles qui régissent une langue donnée implique une réflexion sur ce qu’est la langue, mais aussi la communication sans réduire celle-là, comme malheureusement on le fait trop souvent, à celle-ci. Car si le schéma de l’interaction verbale dépasse le cadre du code et du message — avec par exemple des locuteurs et une situation référentielle précise, — la langue perpétuellement dépasse non seulement la connaissance de ceux-ci, mais leur conscience même.

C’est dans la première moitié du XIXe siècle que naît la linguistique, perspective quelque peu différente de la grammaire, puisqu’elle creuse encore le langage, mais dont les recoupements avec celle-ci sont très fréquents. Il est paradoxal cependant qu’un logocentrisme philosophique (la parole-reine) a longtemps accompagné une étude grammaticale de l’écrit ; la linguistique tendait alors à rectifier cette contradiction, bien qu’elle restât souvent centrée sur l’usage parolier d’une Langue. Dernier paradoxe apparent, c’est souvent le purisme des grammaires normatives qui se base entièrement sur la compétence pratique des locuteurs.

D’un côté donc l’on trouve chaînes et listes de mots — les deux axes définis par Saussure du syntagmatique et du paradigmatique, combinaison et substitution, — de l’autre certaines fonctions communicatives, définies par Jakobson en référentielle, expressives, conative, phatique, poétique et métalinguistique. L’orientation générale en sens ou acte aujourd’hui encore divise l’étude du langage, et se fonde sur une distinction majeure.


II. La distinction oral/écrit


Bakhtine (Marxisme et philosophie du langage, 1929) résume très bien les deux courants modernes de l’étude du langage : l’une, continuité du Classicisme, abstrait de chaque acte langagier la langue pour en faire un objet synchronique, rationnel et mécanique, de par l’habitude de l’étude des langues classiques, mortes et fixées, et par la tradition de rejeter à l’extérieur la situation, le référent. Ses principaux représentants sont la grammaire (au sens moderne du terme) et Saussure.
L’autre, née du Romantisme, voit dans chaque expression particulière l’essence du langage, en constante diachronie, mais en relation seule avec l’individu qui l’exprime à partir d’une pensée. Ses grands représentants sont Herder, puis Humboldt.
Or, même Saussure a rejeté l’écriture, quand bien même il ne s’occupe que des traits universels, et ce au profit de cette parole qu’il juge quand même « accidentelle » face à la Langue. Bakhtine de même, grand lecteur pourtant, voit dans la parole (sociale) l’essentiel de la langue, mais il n’en reste pas moins que la base d’une écriture phonétique — donc lisible comme une pensée, — que l’on connaît depuis la langue grecque, se différencie après coup en :

(1) Contexte / rupture référentielle et phatique.
(2) Immédiateté / temporalité à deux niveaux (écriture/lecture ; dans l’écriture).
(3) Familier / soutenu.
(4) Simplicité / complexité (graphèmes complexes : o, au, eau, eaux ; muets ; désinences de la conjugaison : -e, -es, -ent ne sont qu’un son).
(5) Evolutivité / fixité : choc « logique », par exemple dompteur/ compteur.
(6) Usages différents : passé simple pour l’écrit, on/nous, style, etc.

Il y a pourtant de nombreuses zones de recoupement, comme l’indiquent (1) le téléphone, (2) le gramophone, (3) la parole écrite, mais aussi le sous-titrage, les légendes d’icônes (photographies, panneaux), la ponctuation, la phonétique (un graphème pour un phonème), (5) la complexité orale, par exemple, du gs/ks > x à l’écrit. Pouvons-nous trouver un point d’ancrage dans le brouillon ? Ecrit-on jamais comme on parle ?

Nous devrions encore nous demander, avant de répondre, si un symbole est une étroite correspondance avec la chose qu’il présente, est excédé par son idée, et, mettons le en abyme, si son sens même n’a pas évolué depuis Aristote ! La tradition de placer l’oral au-dessus de l’écrit en serait ébranlée.

Ø  Voir Aristote, De l’interprétation, 1.


III. La maîtrise des outils d’analyse


Toutes les questions que l’on peut se poser en vue de résoudre une problématique sont axées sur des définitions, puis des méthodes.


1. Définitions premières et difficultés pratiques


La phrase (φράσις, de φράζω, montrer, déclarer, dire) se dit-elle selon un sens complet, la forme écrite (majuscule-point) ou orale (intonations) ? Elle est en réalité dépendante des règles de construction (syntaxe) et tout à la fois du sens. Distinguez donc la grammaticalité de la sémantique, tout en tenant compte de l’ambiguïté possible :

(1) D’incolores idées vertes dorment furieusement. (Chomsky)
(2) Vertes d’incolores idées furieusement.
(3) Dorment furieusement elles.
(4) Il lit la nuit.
(5) Il dessine le soir.
(6) L’enseignement de la philosophie est essentiel.

Quels sont ici les seuils sémantique et grammatical d’acceptabilité ? Pour les ambiguës (4)(5)(6), quel est le niveau de compétence ou de performance requis pour percevoir les possibilités de signification ?

La proposition est soit une phrase indépendante (simple), soit un élément de phrase complexe (principale ou subordonnée). Elle peut donc, contrairement à la phrase, ne pas être autonome, mais est toujours constituée d’un sujet et d’un verbe conjugué qui lui sont propres.

La nature (classes grammaticales telles que l’adjectif, le verbe, etc.) est à distinguer de la fonction (sujet, complément, épithète, etc.), bien qu’ils se recoupent (la nature « adjectif » peut être attribut, apposé, épithète ; la fonction « sujet » peut être prise par un substantif, un pronom, etc.) La fonction est relative (apposé à, attribut du, sujet du verbe ou de la phrase).


2. Méthode et exemples


a. Est-ce une phrase ?
b. Si oui, est-elle simple (proposition indépendante), ou complexe (propositions juxtaposées, coordonnées, principales/subordonnées) ?

b1. Si simple, distinguer le sujet, le verbe, les compléments/ attributs, puis les compléments circonstanciels (que l’on peut supprimer, déplacer ou modifier).

b2. Si complexe, distinguer les propositions et leurs relations.
            b.2.1. Sont-elles juxtaposées ou coordonnées ?
            b.2.2. Sont-elles principales et subordonnées ?
b.2.3. Les subordonnées sont-elles conjonctives, interrogatives indirectes ou relatives ?
           
b3. Quelles en sont les fonctions (complétive, circ., relative) ?


Premier exemple (nature et fonction) :

Le pépiement matinal des oiseaux semblait insipide à Françoise.

Phrase simple (une seule proposition), constituée de :
- groupe sujet : « le pépiement [matinal] [des oiseaux] »
       - déterminant + substantif : « Le pépiement »
       - adjectif épithète : « matinal »
       - compl. du nom : « des oiseaux »
- groupe verbal : « semblait insipide à Françoise ».
       - verbe : « semblait »
       - attribut du sujet : « insipide »
       - compl. d’attribution : « à Françoise »


Second exemple (propositions coordonnées et subordonnée) :


Cependant, la fée dépérit si nous nous approchons de la personne réelle à laquelle correspond son nom, car, cette personne, le nom alors commence à la refléter et elle ne contient rien de la fée.

Phrase complexe, constituée de 5 propositions (5 verbes conjugués + sujet propre) :
- 3 propositions coordonnées (par « car » et « et ») dont 1 principale et 2 indépendantes
       - principale : « Cependant, la fée dépérit »
                   - subordonnée conjonctive circonstancielle : « si... réelle »
                               - subordonnée relative : « à laquelle... nom »
       - indépendante 1 : « le nom... refléter »
       - indépendante 2 : « elle ne contient rien de la fée. »


Troisième exemple (propositions principale/subordonnées) :

Françoise, qui ne laissait pas passer le plus léger de ceux qu’elle éprouvait, si je souffrais détournait la tête pour que je n’eusse pas le plaisir de voir ma souffrance plainte, même remarquée.

Phrase complexe, constituée de 5 propositions :
- principale : « Françoise [...] détournait la tête »
- subordonnée relative sujet : « qui ne laissait... »
            - sub. relative COD : « ceux qu’elle éprouvait »
- subordonnée conjonctive circonstancielle : « si je souffrais »
- subordonnée conjonctive circonstancielle : « pour que... »




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