Lhomond


I. L’importance d’une grammaire scolaire


Avec le développement de l’école au début du XIXe siècle, la nécessité d’une grammaire destinée à l’usage des enfants se fait sentir, et celle d’un manuel : Lhomond y répond avec un opuscule dont l’introduction expose trois principes didactiques :


Il est sur-tout important de ne pas leur [aux enfants] présenter plusieurs objets à la fois : il faut, pour ainsi-dire, faire entrer dans leur esprit les idées une à une, comme on introduit une liqueur goutte à goutte dans un vase dont l’embouchure est étroite : si vous en versez trop en même temps, la liqueur se répand, et rien n’entre dans le vase. Il y a aussi un ordre à garder ; cet ordre consiste principalement à ne pas supposer des choses que vous n’avez pas encore dites, et à commencer par les connoissances qui ne dépendent point de celles qui suivent. Enfin, il y a une manière de s’énoncer accommodée à leur foiblesse : ce n’est point par des définitions abstraites qu’on leur fera connoître les objets dont on leur parle, mais par des caractères sensibles, et qui les rendent faciles à distinguer (1).

(1) Une définition présente une idée générale, qui suppose des idées particulières ; et l’enfant n’ayant pas encore acquis ces idées particulières, ne peut entendre la définition.


Pour cela il fallait que Lhomond fût un instituteur qui eut l’expérience de son métier, ce qui fut le cas. Mais on lui reprocha quelquefois (Jullien, 1854) que sa simplicité fût la contrepartie du « mépris exagéré [...] pour la philosophie du langage », que le professeur devrait comprendre pour éviter des définitions inexactes.


II. Divisions de l’ouvrage


Comme toute grammaire traditionnelle, l’ouvrage est divisé selon les parties du discours. Mais puisqu’il faut respecter le but assigné par l’introduction (un objet à la fois, l’ordre, la simplicité), chaque division sera écourtée et bien délimitée. On y peut d’abord suivre la méthode qui joint la règle simplifiée à l’exemple :


I. Le nom est un mot qui sert à nommer une personne ou une chose, comme Pierre, Paul, Livre, Chapeau. [...]
Dans les noms il faut considérer le genre et le nombre. [...]

II. L’article est un petit mot que l’on met devant les noms communs, et qui en fait connaître le genre et le nombre.


On voit bien l’application des trois règles en (II) :
- ne présenter, suivant l’exemple, que l’article (l’objet) ;
- ne présenter que son caractère impliqué par genre et nombre dans (I) ;
- rester simple dans l’énonciation.

Cette dernière règle peut aussi trouver son appui par rapport à, par exemple, la grammaire de Port-Royal :

Lhomond (1806)

Port-Royal (1660)


Outre la règle et les exemples qui la suivent de près, chaque chapitre est constitué de remarques ou d’exceptions.

On remarque surtout, par rapport à la grammaire classique, que l’exemple reste motivé par la morale, mais bien moins par la morale religieuse (six occurrences), surpassée par les exemples politiques ou naturels ; l’époque nous le fait comprendre.


La rose est plus belle que la violette.
La mort que Lucrèce s’est donnée.
Cette affaire s’est traitée dans le cabinet du ministre.
La valeur que nous en avons reçue.
La vertu est meilleure que la science.
N’aimer que soi, c’est être mauvais citoyen.
Suivant la loi.
Les rois, quelque puissans qu’ils soient, ne doivent pas oublier qu’ils sont hommes.
Dieu qui a créé le monde.


Comparez à la grammaire de Port-Royal :


La terre est ronde.
Dominus regit me, le Seigneur me conduit.
Moi qui suis chrétien.
La valeur d’Achille a été cause de la prise de Troie.
Etc.


Mais dans les deux cas on voit que l’exemple est motivé.

Par contre, Lhomond débarrasse entièrement ses exemples du latin, ce qui en partie s’explique par le fait que cette grammaire ne se veut pas générale mais didactique, et par l’époque historique, où le latin est une langue quasi-morte.

La théorie n’en conserve que quelques restes, aujourd’hui abandonnés, loin d’analyser le français avec les cas anciens (par exemple, Port-Royal, Seconde partie, VI) :


On distingue plusieurs sortes de prétérits, ou passés : savoir, un imparfait, je lisois ; trois parfaits, je lus, j’ai lu, j’eus lu ; et un plusque-parfait, j’avois lu. (chap. V)


Pourtant il n’en faut pas conclure un attachement voulu de l’auteur ; l’intelligence d’une langue a bien une histoire, que la nôtre la tire du latin et du grec.


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