Port-Royal


La grammaire générale de Port-Royal


I. Qu’entend-on par générale ?


La Grammaire générale de Port-Royal (1660) est une grammaire ayant pour pendant la Logique (1662), mais distincte d’elle pourtant. Elle fut établie par Antoine Arnault (1612-1694) et Claude Lancelot (1615-1695). Issue de la tradition scolastique du Moyen Âge, elle va considérer l’universalité d’un objet plus ou moins arbitraire, non plus la langue des poètes pour la tradition grecque, mais celle de la raison.

La grammaire générale est à toute langue, au langage même, ce que les grammaires particulières sont à chacune. Ces dernières étudient les règles particulières sous-jacentes à une langue déterminée, alors que la générale veut outrepasser l’aspect temporel et local de chaque langue afin d’établir les fondements immanents et immuables de la parole en général. Celle-ci est une science, l’autre un art. Mais sans aller jusqu’à la réflexivité de la logique par rapport à la pensée, la grammaire générale veut expliquer comment les règles diverses nous amènent aux fondements qui sont « l’ordre imminent à toute parole » (Foucault, 1967, 8).

Cependant, l’on voit rapidement — par exemple dans le chapitre du genre — que l’intelligence commune à toutes les langues est axée sur celle du français, pour la raison suivante : la Grammaire est l’expression d’une épure, — quant à sa visée et son être — épure soucieuse de suivre Défense et Illustration de Du Bellay, de fixer la langue, mais aussi celle d’un siècle visant à l’harmonie de celle-ci, et à la placer sous le joug d’un intellectualisme débridé par la conception cartésienne de l’esprit, le Classicisme. Par ailleurs, l’on ne saurait séparer, pour cette époque, langue de société et de morale ; de celle-ci l’on ne compte plus les exemples : amo Deum, creator mundi, rex, le roi ne dépend point de ses sujets, etc. Dans son enseignement, elle n’est pas encore, néanmoins, entièrement détachée du latin ou du grec dans les exemples éclairant la théorie, mais déjà prête à renier ces langues dans l’idéologie.

Elle est divisée en deux parties, très inégales, reprenant l’aspect physique (lettres et sons) et l’aspect spirituel (significations) de la langue. L’un est commun « aux hommes et aux perroquets » (II, chap. 1), l’autre ne concerne que l’homme.


II. L’héritage de la métaphysique


Il faut connaître « ce qui se passe dans notre esprit pour comprendre les fondements de la grammaire » (II, chap. 1) — et non l’inverse. Ainsi l’aspect spirituel de la grammaire est « une des plus grandes preuves de la raison » (II, chap. 1).

« L’on peut définir les mots, des sons distincts et articulés, dont les hommes ont fait des signes pour signifier leurs pensées. » Nous sommes en réalité assez loin d’Aristote (Peri Hermeneias, chap. 1), qui ne voyait la relation entre états de l’âme — presque équivalent, ici, à pensées — et signes oraux et écrits qu’avec le symbole, une étroite correspondance qui est surtout indifférente à l’un vu comme cause. Ici, au contraire, la pensée, naturelle, est la cause des signes, arbitraires.

Les trois opérations de cette pensée, de notre esprit, sont :

- Concevoir : regard intellectuel sur les choses (l’être, Dieu, etc.) ou iconique (images corporelles : un chien, un rond, etc.)

- Juger : affirmation d’une conception telle ou non ; ainsi, des conceptions de « terre » et de « rondeur », nous affirmons que la terre est ronde. Ainsi (II, chap. 9), dans la proposition « Dieu invisible a créé le monde visible » il y a trois jugements : « Dieu est invisible » [proposition ici essentielle], « il a créé le monde », « le monde est visible ».

- Raisonner : usage de deux jugements pour en faire un troisième : si la vertu est louable, et la patience une vertu, il s’en suivra que la patience est louable.

La Grammaire va se centrer sur le jugement, et la conception qu’il contient. Elle l’appellera Proposition, composée d’un Sujet et d’un Attribut, outre la liaison d’être comme copule.

C’est suivant la division conception-jugement, c’est-à-dire l’objet de pensée et la manière de penser, que l’on obtiendra :

- noms [substantifs et adjectifs], articles, pronoms, participes, prépositions, adverbes ;
- verbes, conjonctions, interjections.

Le principe de classification dualiste des classes grammaticales est donc mieux fondé philosophiquement que grammaticalement (mots variables, invariables par exemple). La Grammaire Générale est plutôt une métaphysique des langues.
Cet héritage, comme nous allons le voir, poursuit sa marche au travers de l’analyse de chaque classe de mots.


III. Réception et postérité de l’ouvrage


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